Les 3C du Manager

Dans un précédent article je dissertais sur l’importance du sens dans le monde du travail. Si la définition claire de la vision de l’entreprise et des valeurs qui l’encadre sont des facteurs très importants pour les collaborateurs et leur performance, ils ne sont pas pour autant les clés uniques du bien-être professionnel. Pour s’épanouir pleinement chacun a besoin de se trouver dans un climat serein et de confiance. Nul besoin d’étude sociologique approfondie pour constater que le problème du chef, du manager ou du directeur, appelons-le comme nous le souhaitons, est un sujet de crispation récurent chez de nombreux salariés. Restant sur le principe qu’il faut être placé dans les meilleures conditions possibles pour être bien dans sa vie et efficace dans son travail, nous allons explorer les pistes de changement pour un management apaisé et épanouissant.

Les Compétences selon Peter et Dilbert

Penchons-nous tout d’abord sur ce qui se passe dans bon nombre d’entreprises. Deux principes quelque peu cyniques sont avancés pour exposer les lois qui régissent la promotion, et l’établissement de la hiérarchie.

Le principe de Peter (Laurence J. Peter) tout d’abord repose sur la théorie que l’on s’élève dans la hiérarchie tant que l’on n’a pas atteint son niveau d’incompétence. La récompense pour une personne compétente est donc d’être promue à l’échelon supérieur jusqu’à ce que sa compétence (ou plutôt son absence de compétence) ne mérite plus de récompense. Dans la mesure ou la rétrogradation intervient rarement, avec le temps on retrouve des personnes incompétentes aux niveaux les plus élevés.

Scott Adams dans sa bande dessinée Dilbert énonce le principe éponyme allant un cran au-dessus du principe de Peter. En effet selon lui, dans les entreprises, on protège les fonctions de production, donc vitales, de l’entreprise en éloignant les plus incompétents de celles-ci. Le moyen trouvé pour ce faire est de les affecter aux tâches les moins dangereuses à savoir l’encadrement. A contrario les éléments les plus « forts » sont eux maintenus aux postes terrain où ils sont indispensables.

Si le principe de Peter est porteur d’une certaine forme d’espoir puisque redescendre d’un échelon permet de retrouver une performance optimale, celui de Dilbert est beaucoup plus fataliste et noir en nous offrant deux enseignements :

- Si vous êtes très compétents vous ne monterez jamais dans la hiérarchie.

- Quoi qu’il arrive vous serez toujours dirigé par des incompétents.

Bien entendu nous avons là deux formes caricaturales de la construction hiérarchique. Leur point commun est de montrer du doigt l’incompétence de ceux qui sont en charge de manager. Enlever les doutes sur les aptitudes des dirigeants permettrait il de se sentir mieux ?

Avancer en toute confiance

Chaque individu a besoin de reconnaissance et de confiance. Ces deux notions sont à double sens :

- On a besoin d’être reconnu, on a besoin que l’on nous fasse confiance.

- On a besoin de reconnaitre les qualités de l’autre, on a besoin de faire confiance à l’autre.

Dans une équipe chaque membre doit répondre à ce double besoin. Le manager n’est pas exclu de cette nécessité, il doit même être le porte-drapeau par son attitude et dans son action de ces deux valeurs fondamentales : « Je vous fais confiance car je reconnais en vous les qualités nécessaires à cette confiance. Vous me faites confiance car je vous montre concrètement que j’ai les qualités nécessaires pour mériter votre confiance ».

Une étude d’Amanda Goodall sur 35 000 salariés au Royaume Uni et aux USA démontre que c’est la compétence du dirigeant qui est le plus fort vecteur de bien-être au travail. Ce respect par la compétence intervient dans les cas suivants :

- Si votre supérieur sait faire ce qu’il vous demande

- Si votre supérieur à gravi les échelons de l’entreprise ou l’a créée

- Si votre supérieur affiche une compétence technique incontestable

Ces marqueurs, sources de respect et de confiance de la part du salarié envers ceux qui le dirigent sont plus forts que la formation, le secteur d’activité, l’intérêt de la tâche demandée ou même le salaire. Pour vulgariser on pourrait dire qu’on se sent bien quand on est en situation de pouvoir partir à la guerre avec son boss les yeux fermés.

De l’autre côté on a aussi besoin de reconnaissance personnelle de la part de nos supérieurs et cette reconnaissance ne passe pas fatalement par l’argent. En effet, la reconnaissance est avant tout une prise en compte du salarié en tant qu’individu.

La considération de l’individu

Aujourd’hui les règles et les procédures ont standardisé la gestion des « Ressources Humaines ». On donne l’illusion d’un traitement égalitaire en imposant les mêmes règles à tous. Malgré tout la différence existe et se fait sur l’élément le plus tabou de notre système, celui qui doit rester caché, le salaire.

Quand on parle de prendre en compte les spécificités de chacun, on nous rétorque souvent que c’est trop compliqué, qu’il n’est pas possible de faire du management au cas par cas … Mais là il y a fausse route, une vraie bonne gestion humaine est une gestion individualisée. Le meilleur manager est celui qui arrive à tirer 100% des capacités de son équipe à un instant T. C’est pour cela que le management est un vrai métier et non une fonction que l’on donne en plus à un membre méritant de l’entreprise. Dès lors le manager efficace saura expliquer les différences et ce même au niveau de la rémunération qui ne sera plus de fait un élément secret. La dissimulation crée la méfiance et la méfiance génère la crispation source du mal-être et du manque d’efficacité.

Gérer par des règles strictes c’est placer ses collaborateurs en « mode » obligation de moyen : « On me demande d’arriver à 9h00, j’arrive à 9h00 et non 9h02 en revanche je pars à 17h00 et non 17h02 quoi qu’il arrive ». Considérer l’individu et prendre en compte sa capacité physique et psychologique à produire plus ou moins à un moment donné c’est lui ouvrir la porte à, prendre en compte de son côté les besoins de l’entreprise et donc mettre tout en œuvre pour le bon fonctionnement de celle-ci.

Bien entendu, certains pourront profiter de la situation pour en faire le moins possible mais statistiquement ils n’excèdent pas les 3% des effectifs et sont rapidement rappelés à l’ordre par leur manager qui, étant à l’écoute, est en mesure de détecter et gérer ces situations.

La Gestion des Ressources Humaines doit se transformer en Valorisation de la Richesse Humaine et cette richesse est d’autant plus grande qu’elle est diverse. Il serait donc inconscient dans nos entreprises de faire l’économie d’un réel travail en profondeur sur ce sujet.

Avoir les moyens d’être libre

En lisant ce qui précède on pourrait considérer que le porteur de tous les maux de l’entreprise et surtout du malaise des collaborateurs est le « chef ». A partir de là il n’y a qu’un pas pour dire que la solution serait de le supprimer. On tend alors vers l’holacratie ou l’entreprise libérée. Je suis personnellement très intéressé par tout ce qui tourne autour de ces thèmes et je pense qu’il y a vraiment de bonnes choses à en tirer. Malgré tout je pense aussi qu’ils ne représentent pas la solution ultime et universelle à tous les problèmes. Si les principes de Peter et Dilbert que nous avons vu avant sont caricaturaux, considérer que supprimer toute forme de hiérarchie pourrait rendre la joie aux salariés et apporter une croissance à deux chiffres aux organisations est à minima une illusion et s’apparenterait à casser le thermomètre pour ne plus avoir de fièvre. La vraie liberté réside dans la possibilité de bénéficier des conditions pour pouvoir pleinement exprimer ses capacités et ses talents. Cette liberté là doit être garantie par une hiérarchie facilitatrice et non directive et/ou répressive.

Le manager a donc un rôle primordial dans le bien-être au travail. On était convaincu qu’il avait les habits du bourreau mais on constate aussi et surtout qu’il a le pouvoir d’être l’un des premiers maillons de la chaine du bonheur en cultivant la richesse individuelle de ses équipiers. Les organisations doivent engager cette révolution en mode top down pour changer les pratiques par le haut et emmener toutes les forces vives dans un nouvel élan positif. Elles doivent en finir avec la règle des 2 C (Commandement/Contrôle) pour passer au monde des 3 C (Compétence, Confiance, Considération).